USAGES, INFORMATION ET REGULATION DE L'ACCES DES JEUNES AUX RESEAUX SOCIAUX

Etude IFOP pour la fondation Reboot

A l’occasion de l’examen de la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique (jeudi 2 mars), la Fondation Reboot et l’Ifop publient un rapport portant sur le degré d’adhésion des Français aux mesures à prendre pour mieux réguler les usages des réseaux sociaux par les mineurs tout en le mettant en perspective avec des données auprès des premiers concernés qui permettent de mieux saisir l’ampleur prise aujourd’hui par ces réseaux dans la vie sociale et les pratiques informatives des jeunes. Réalisée auprès d’un double échantillon (1000 Français âgés de 18 ans et plus et 2 000 jeunes âgés 11 à 24 ans dont un millier de mineurs), cette enquête met en lumière un fait très intéressant : le large consensus existant aujourd’hui autour d’une plus grande régulation de l’accès des mineurs à ces réseaux n’est pas le fruit d’une « panique morale » dénuée de tout fondement mais bien une réaction à l’ampleur prise aujourd’hui par ces plateformes dans les pratiques informatives des jeunes et les risques de désinformation auxquels certaines applications comme TikTok les exposent.

 1/ Les mesures visant une plus grande régulation de l’accès des mineurs aux réseaux sociaux suscitent un large consensus dans l’opinion, y compris chez les parents

Les données d’enquête auprès de l’ensemble de la population montrent que l’opinion publique soutient non seulement la proposition de loi du groupe Horizons visant à relever à 15 ans la majorité numérique mais aussi des propositions plus ambitieuses de lutte contre les effets néfastes que les plateformes peuvent avoir sur la santé mentale des jeunes ou leur exposition à des fausses informations.

L’élévation de la majorité numérique à 15 ans (contre 13 ans actuellement) est soutenue par plus de trois Français sur quatre (77%), y compris parmi les personnes les plus concernées : 75% des parents d’enfants de 13 à 15 ans dont la progéniture est inscrite sur un réseau social souhaitent élever à 15 ans l’âge à partir duquel un enfant a le droit de s’inscrire et d’utiliser les réseaux sociaux. Et parmi eux, on notera que les plus fervents partisans de cette élévation de la majorité numérique sont les parents d’enfants présents sur TikTok (74%) ou SnapChat (74%).

Mais d’autres mesures d’encadrement des contenus proposés aux mineurs sur ces réseaux suscitent un large consensus dans l’opinion si l’on en juge par le soutien massif à la prohibition de toute publicité numérique visant les jeunes de moins de 15 ans (à 86%) ou à l’interdiction d’une pratique aujourd’hui largement banalisée sur ces plateformes numériques : la recommandation de contenus aux utilisateurs en fonction de leur profil et/ou de leurs recherches passées (à 75%). 

2/ Un large des soutien des Français à une meilleure connaissance des effets des usages des médias sociaux sur la santé mentale des jeunes et la lutte contre les fakes news

Au-delà des interdictions visant à protéger directement les plus jeunes, les Français soutiennent aussi massivement le lancement d’études approfondies sur les impacts des médias sociaux sur la jeunesse.

– Ainsi, le lancement d’une grande étude gouvernementale pour mesurer les risques que l’usage des réseaux sociaux fait encourir pour la santé mentale des jeunes est largement soutenue par l’opinion (85%), tout comme le fait d’imposer aux plateformes de réseaux sociaux le financement d’études scientifiques indépendantes sur l’impact de leur utilisation par les jeunes (82%).

– Et dans une logique de prévention similaire à celle mis en place pour le tabac, l’affichage de message d’avertissement sur les plateformes de médias sociaux pour informer les utilisateurs des dangers d’une utilisation excessive est aussi soutenue par plus des trois quarts des Français (78%) : les jeunes de moins de 25 ans y étant toutefois un peu moins favorables (69%) que les seniors de 65 ans et plus (89%). 

– Enfin, au-delà de la question de la jeunesse stricto sensu, d’autres propositions de lutte contre la désinformation sur les réseaux sociaux apparaissent largement soutenues par l’opinion. C’est le cas de la proposition de la Fondation Reboot d’obliger les plateformes à supprimer les comptes certifiés qui diffusent des fake news (86%) ou, encore, le projet d’interdire à  ces plateformes de faire la promotion de sites véhiculant des fausses informations (87%).

Globalement, on constate donc un quasi-consensus national sur une plus grande régulation de l’accès des mineurs à ces réseaux et du contenu qui leur est proposé : le souci de protection des plus jeunes, dépassant le droit des plateformes et réseaux sociaux à agir comme ils le souhaitent… Et la mise en perspective de ces données montre que le soutien à des mesures plus coercitives en la matière n’est pas le fruit d’une « panique morale » dénuée de tout fondement mais bien une réaction à l’ampleur prise aujourd’hui par ces plateformes dans les pratiques informatives des jeunes.

3/ Les réseaux sociaux occupent aujourd’hui une place centrale dans la vie sociale et les pratiques informatives des jeunes

Les mineurs ont aujourd’hui un usage massif des réseaux sociaux, y compris à titre informatif

Malgré les restrictions d’âge, les jeunes de moins de 15 ans sont largement présents sur les réseaux sociaux de partage de photos et de vidéos. Ainsi, une forte proportion des jeunes de 11 à 14 ans consultent quotidiennement TikTok (46%), Instagram (34%) ou Facebook (24%) et on les trouve aussi massivement actifs sur des services de vidéos en ligne comme Youtube (64%).

Or, cet usage massif des réseaux sociaux écrase désormais largement des sources d’informations plus classiques. Ainsi, si la majorité de jeunes de moins de 15 ans consultent quotidiennement des réseaux sociaux de partage de photos et de vidéos (60%) ou des services de vidéos en ligne (57%), ils ne sont plus qu’une très faible minorité à s’informer quotidiennement via les journaux télévisés des grandes chaines (24%) ou des chaines d’information en continu (14%) ou encore, sur les sites ou applications de la presse écrite (7%).

Alors que la majorité numérique est à ce jour fixée à 13 ans, elle ne semble pas respectée : les 11 à 14 passent en moyenne chaque jour 1,9h sur TikTok, 2h sur Youtube et 1,6h sur Instagram.

4/ Le degré de confiance des mineurs dans les réseaux sociaux et dans les informations véhiculées par les créateurs de contenu est significatif, notamment chez leurs gros utilisateurs

Si le niveau de confiance accordé par les jeunes aux grands médias reste massif au regard de celui qu’ils confèrent aux réseaux sociaux, force est de constater qu’une forte minorité d’entre eux jugent crédibles les informations qu’ils entendent ou consultent sur ces plateformes. Ainsi, un tiers des jeunes de 11 à 14 ans (32%) ont confiance dans les informations sur les questions de société ou d’actualité qu’ils trouvent sur des réseaux sociaux de partage de photos et de vidéos comme TikTok ou Instagram.

Et dans le détail des différents réseaux, on note que Youtube apparait comme une source d’information fiable pour un jeune sur deux (50% pour l’ensemble des jeunes interrogés, 49% des 11-14 ans), Instagram pour un jeune sur trois (36% pour l’ensemble des jeunes interrogés) et TikTok pour un jeune sur quatre : 26% pour l’ensemble des jeunes interrogés, 25% des 11-14 ans.

Et il convient de regarder aussi selon l’usage de la plateforme. Pour TikTok, si le taux de confiance est globalement à 26% chez les jeunes de 11 à 24 ans, il grimpe à 43% pour les utilisateurs pluriquotidiens, contre 8% pour ceux ne l’utilisant jamais. Les plus gros utilisateurs sont donc les plus à même d’être victimes des fausses informations qui circulent sur cette plateforme.

Si les jeunes ne font pas une confiance aveugle aux réseaux sociaux qu’ils consultent, ils ne sont pas pour autant dans une logique de vérification des informations auxquelles ils accèdent. Près de la moitié (45%) des jeunes de 11 à 24 ans ne vérifient pas ce qu’ils consultent sur TikTok et leur proportion monte à 49% chez les jeunes de 11 à 14 ans.

5/ TikTok, une plateforme qui se mue en un moteur de recherche fournissant des informations fiables pour la moitié de ses utilisateurs

Dans le cadre de cette révolution des pratiques informatives, TikTok s’impose de plus en plus comme un moteur de recherche à part entière et non plus comme un simple réseau de partage de vidéo.

Pour la première fois en France, une enquête montre à quel point la plateforme chinoise TikTok s’est désormais instituée comme un véritable moteur de recherche. Pour preuve, 59% des jeunes de 11 à 24 ans s’en servent comme moteur de recherche, dont 28% quotidiennement. Et ce sont les plus jeunes, les 11 à 14 ans, qui sont les plus nombreux à s’en servir comme tel – 62% l’utilisent comme moteur de recherche au moins une fois par mois, 33% au moins une fois par jour – alors même qu’ils ont potentiellement moins de recul sur les contenus à leur disposition.

Or, le problème est qu’une proportion significative de ces utilisateurs ont confiance dans les contenus véhiculés par ces réseaux sociaux, notamment si les comptes sont suivis par de nombreux followers.

En effet, une majorité des Tiktokeurs de moins de 15 ans estiment que « TikTok est une plateforme d’apprentissage comme une autre » (59%) et près de la moitié d’entre eux tendent à donner leur confiance au réseau chinois dans la gestion des contenus et des certifications. Ainsi, 46% des jeunes de 11 à 14 ans considèrent que « la plateforme met en avant des ressources fiables » et 47% qu’un compte certifié est synonyme d’expertise dans son domaine.

François Kraus, directeur du pôle « Politique / Actualités » de l’Ifop

Thomas Pierre, chargé d’étude au pôle « Politique / Actualités » de l’Ifop