Table des matières

Introduction

Développement du raisonnement critique chez les enfants de 5 à 9 ans

Le raisonnement critique ne peut se construire que sur une base solide. Bien que les enfants de cinq à neuf ans ne soient pas encore prêts pour des raisonnements complexes ou pour formuler des argumentations détaillées, les parents peuvent malgré tout les aider bâtir un socle pour le raisonnement critique.

Pour pouvoir développer des compétences de raisonnement critique de haut niveau plus tard dans leur vie, les enfants de cinq à neuf ans doivent d’abord avancer sur quatre chemins : développer les compétences de raisonnement de base et l’intérêt pour cela, construire l’estime de soi, apprendre à gérer ses émotions et intégrer les normes sociales du raisonnement critique. Des sections séparées présentent l’importance de chacun de ces aspects fondamentaux et aident les parents à accompagner le développement de leurs jeunes enfants.

1. Logique et raisonnement critique

En résumé :​

Le raisonnement critique est différent du raisonnement logique. Comme les maths, le raisonnement logique implique des compétences de raisonnement formel qui ne pourront être acquises que plus tard. À l’inverse, le raisonnement critique se construit sur le raisonnement dans la vie de tous les jours.

Les parents devraient donc aider au développement du raisonnement critique chez leurs enfants dès leur plus jeune âge

La logique formelle constitue une part importante du raisonnement critique, mais au final, le raisonnement critique implique des habitudes et des compétences qui vont bien au-delà du champ de la logique. Les facultés de raisonnement critique de l’enfant ne peuvent donc pas être fondées sur l’analyse logique stricte, mais doivent plutôt se développer sur la base du raisonnement quotidien.

On doit garder à l’esprit les trois facteurs principaux qui différencient la logique du raisonnement quotidien, sur lequel s’appuie le raisonnement critique.

Tout d’abord, la logique n’est pas naturelle chez l’être humain. Si elle l’était, il ne serait pas nécessaire d’apprendre à raisonner et il n’y aurait pas tant de difficultés à aborder la démonstration mathématique au collège.

Le raisonnement naturel chez l’enfant se fonde souvent sur son expérience sensorielle, et se trouve souvent entâché des biais cognitifs dont nous avons parlé en introduction.

Prenons l’exemple suvant. Quelqu’un dit : « S’il pleut, je prends mon parapluie. » Puis, après un moment, rajoute : « Il ne pleut pas. » Que peut-on conclure?

Une grande majorité, adultes et enfants en âge de comprendre la question confondus, conclura que la personne ne prend pas de parapluie. Dans ce contexte, cela semble la bonne conclusion à tirer.

La logique n’est pas naturelle chez l’être humain, et ne peut être acquise que par l’apprentissage..

Mais dans une perspective purement logique, ça ne l’est pas. Le fait que cette personne dise prendre un parapluie s’il pleut n’implique rien, à strictement parler, sur ce qu’il se passe quand il ne pleut pas.

La logique, c’est-à-dire la capacité cognitive de déduction formelle et fiable, n’est pas naturelle pour l’être humain et ne peut être acquise que par l’apprentissage, et seulement et un l’âge où le système cognitif et le développement du cerveau le permettent, soit entre 12 et 15 ans.

Deuxièmement, bien que la logique ne soit pas naturelle, elle peut s’enseigner avec plus ou moins de succès selon la personnalité, le profil cognitif, etc. De nombreux travaux de psychologie du développement, depuis Piaget, ont montré que notre système cognitif ne peut atteindre de bonnes compétences d’analyse logique que tardivement et par l’entraînement.

Troisièmement, quand les parents exercent leurs enfants de cinq à neuf ans à réaliser des déductions logiques plus ou moins complexes, rien n’est acquis en profondeur. À cet âge, le système cognitif n’a pas encore la capacité d’extraire les invariants logiques, autrement dit la possibilité de reproduire le raisonnement dans un contexte variable.

C’est pourquoi on n’introduit pas la démonstration en mathématiques avant 13-14 ans. Mais, encore une fois, les parents peuvent favoriser l’acquisition des bases du raisonnement critique dès le plus jeune âge en encourageant des facteurs sociaux tels que l’estime de soi.


Logique et développement du cerveau

Le raisonnement complexe utilise surtout le cortex préfrontal et les aires cérébrales dédiées au langage. Le développement du langage est, bien entendu, très lié à l’apprentissage explicite comme à la stimulation implicite (comme entendre sa langue dès la vie intra-utérine).

Mais le raisonnement requiert plus que les capacités de langage. Le cortex préfrontal est dépositaire des fonctions dites exécutives. Il contrôle la concentration, la planification, la prise de décision et bien d’autres fonctions. Ce sont elles qui permettent de décomposer les tâches complexes en enchaînements de tâches plus simples. Un raisonnement nécessite une stratégie de décomposition. Le lobe préfrontal est une zone cérébrale qui n’est neurologiquement mature qu’au-delà de 20 ans.

La logique n’est donc ni naturelle ni facile. Elle nécessite un maniement aisé du langage et la capacité de résolution de problème du cortex préfrontal. Où en sommes-nous ? Où voulons-nous arriver ? Comment nous y prendre ?

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Metacognition​

2. Le raisonnement quotidien

En résumé:

Bien que leurs compétences de raisonnement logiques soient peu développées, les jeunes enfants peuvent argumenter et exprimer leur opinion. Les parents devraient les y encourager. Et même si les arguments des enfants tendent à être fondés sur leurs émotions, la pratique peut les aider à bâtir perspective critique et confiance.. Even though a child’s argument will tend to be based on emotion, the practice can help build a critical perspective and confidence.

Bien que les jeunes enfants ne soient pas capables d’appréhender des concepts logiques, ils utilisent tous les jours des formes de raisonnement dans leur usage du langage, pour résoudre des problèmes ou pour prendre des décisions. C’est à partir de ces facultés que le raisonnement critique peut commencer à se développer dès cet âge.

Comme on le voit, la communication par le langage n’est pas logique. Le langage naturel ne se conforme pas à une structure logique formelle. Il est contextuel, que l’on parle de compréhension ou d’expression. Si quelqu’un dit : « Si j’avais un couteau, je couperais ma viande », la plupart de ses interlocuteurs comprendront que le fait d’avoir un couteau rend possible de couper sa viande. Mais, en logique formelle, cela signifie que si j’avais un couteau alors je serais obligé de couper ma viande. Le langage logique est systématique et obligatoire. Mais l’enfant apprend à parler et à comprendre de manière pragmatique et contextuelle, certainement pas de manière logique.

Certains troubles de la communication proviennent justement d’une rigueur logique trop appuyée, comme dans le cas du syndrome d’Asperger, qui est une variante de l’autisme de haut niveau. Paradoxalement, la communication humaine ne fonctionne que parce que ce n’est pas un système linguistique purement logique. C’est une des raisons qui font que la traduction automatique des langues est une épine dans le pied des spécialistes de l’intelligence artificielle depuis les années 1970.

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Preuve Logique

La plupart des problèmes de la vie réelle qui se posent à nous dès la petite enfance ne peuvent pas formellement être résolus par la déduction logique.

La décision est fondée sur un mélange complexe de différents éléments :

  • le traitement cognitif de la situation et/ou des arguments
  • l’intervention, consciente ou non, de notre souvenir de situations semblables vécues précédemment, de nos préférences et de notre personnalité au sens large
  • nos émotions

C’est ainsi qu’un enfant réussit à choisir entre deux jouets ou qu’un adulte choisit d’acheter un appartement ou de rester locataire. Les personnes qui ont une tendance cognitive ultra-logique vont manquer de paramètres pouvant nourrir leur raisonnement, et pourront se montrer incapables de décider et donc d’agir. Les travaux des neurosciences, depuis ceux d’Antonio Damasio dès les années 1990, nous ont montré que les processus de décision sont intimement liés aux mécanismes émotionnels, d’un point de vue neurophysiologique comme comportemental.

La logique absolue, en plus de souvant amener à des résultats malheureux dans le monde réel, peut être bloquante dans un univers ultra complexe où la prise de décision requiert de gérer des facteurs multiples. C’est la raison principale pour laquelle l’intelligence artificielle commence seulement à à se montrer efficace, alors que l’informatique date des années 1940. Il a fallu que les informaticiens dépassent leur culture de la logique mathématique hypothético-déductive et qu’ils intègrent les progrès des sciences cognitives et des neurosciences. Aujourd’hui, les algorithmes se comportent plus comme des enfants, prennent des décisions aléatoires, analysent et mémorisent les conséquences pour progresser, puis se corrigent en extrayant les invariants et les variations contextuelles. C’est ce que l’on appelle le « deep learning ».

Les enfants ne peuvent pas trop compter sur la logique, mais ils restent capables d’exprimer leurs opinions en se basant sur leurs expériences, leurs intuitions et leurs émotions.

C’est également ainsi que fonctionnent les enfants entre cinq et neuf ans. Ils peuvent résoudre de nombreux problèmes et faire des choix, sans être capables de démontrer (au sens fort du terme) la justesse de leurs conclusions et de leurs choix.

Entre cinq et neuf ans, de ce fait, un enfant ne peut pas trop compter sur la logique, mais il reste capable d’exprimer ses opinions en se basant sur ses expériences, ses intuitions et ses émotions. Pour cela il lui faut s’exercer, s’estimer et se sentir estimé par les autres pour ressentir le droit, l’envie et l’énergie d’exercer son raisonnement critique : en d’autres termes, d’exister en tant que sujet pensant et agissant dont les facultés sont reconnues par les autres.

À cet âge, l’enfant est capable d’argumenter à partir des phénomènes qu’il a expérimentés et des connaissances accumulées à l’école, en famille, en lisant, en regardant la télévision, en allant sur internet ou en parlant avec ses camarades. Il argumente aussi « avec son cœur ». Il assume que ses émotions sont des arguments en eux-mêmes.

Par exemple, un enfant peut considérer qu’il ne faut plus manger de viande parce que les animaux innocents ne doivent pas mourir. Son empathie est son principal argument et la force de son insistance sera souvent proportionnelle à celle de ses émotions.

      Cas d’espèce

Montrons à un enfant de cet âge le dessin d’un flacon rectangulaire incliné d’un côté et demandons lui : « Si je remplis ce flacon à peu près à moitié, peux-tu me dessiner la ligne de l’eau dans le flacon ? »
Que se passe-t-il ? La plupart des enfants dessinent une perpendiculaire à l’axe longitudinal du flacon. Or, comme ce dernier n’est pas disposé verticalement mais est incliné, la ligne dessinée n’est pas horizontale par rapport au sol telle qu’elle devrait l’être.
L’enfant se trompe car son esprit est fixé au référentiel du flacon, comme les astronomes furent englués pendant des millénaires dans le référentiel de la terre puis dans celui du soleil, avant de comprendre que l’univers n’avait pas de référentiel absolu.

Même si on explique son erreur à l’enfant et qu’il dit avoir compris, il la refera pourtant peu de temps après. Son système cognitif n’est pas assez mature pour intégrer la logique de référentiel et de relativité. Cet exemple montre en quoi le raisonnement logique n’est pas naturel, et demande la faculté acquise de prendre du recul et de s’extraire de la situation donnée.

3. Préparer l’enfant au raisonnement critique

Voici quatre moyens de favoriser le développement cognitif précoce chez votre enfant et de le mettre sur la voie du raisonnement critique.

1. Inciter le jeune enfant à se décentrer en le faisant participer à des discussions sur des sujets très divers, y compris d’actualité.

Contrairement à ce que beaucoup pensent, dès cinq ans et parfois même plus tôt, les enfants adorent cela, pour autant que l’on ne les noie pas dans du vocabulaire technique ou de la logique formelle. Ils ont aussi besoin de sentir que les adultes s’intéressent à ce qu’ils pensent et qu’on les écoute sans les interrompre. Les adultes doivent apprendre à dépasser leur rôle d’éducateur er à se mettre au niveau de l’enfant.

Il est très important pour développer ses facultés critiques que l’enfant voie ses représentations du monde acceptées. En prenant ses positions au sérieux, c’est lui que l’on prend au sérieux et que l’on accepte.

 

Par exemple, demandez à un enfant de cinq ans si le Père Noël existe, et comment il le sait. Écoutez ses arguments : il l’a vu au centre commercial, et les cadeaux doivent bien venir de quelque part. Le contredire ou briser ses représentations serait une grave erreur. Cela irait à l’encontre de ce que l’on connaît du développement cognitif, et cela ne respecterait pas son besoin affectif d’y croire. Paradoxalement, c’est en laissant l’enfant élaborer ses idées et ses visions du monde, notamment par le rêve et l’imagination, qu’il va grandir suffisamment heureux et confiant pour, le moment venu et à son rythme, évoluer vers plus de maturité.

2. Valoriser le contenu produit par le jeune enfant.

Grâce aux encouragements, l’enfant va vouloir s’exprimer de plus en plus, tout simplement parce qu’il va en retirer un plaisir. Une structure de notre cerveau, l’amygdale, mémorise les émotions associées aux situations que nous vivons. Nous sommes prédisposés pour chercher poursuivre les expériences et revivre les situations qui nous procurent du plaisir, qu’il soit sensoriel ou psychologique. Si un enfant fait un effort de réflexion pour nous convaincre que les extra-terrestres existent, et que l’on démonte ses arguments et ses rêves, alors on inhibera son envie de participer à nouveau à ce genre de discussion.

Entre cinq et neuf ans, le plaisir de réfléchir, de dire ce que l’on pense et d’en discuter, de sentir que le langage est une source de joie, compte beaucoup plus que la rigueur argumentaire ou que la logique des raisonnements.

3. Entretenir un cercle vertueux.

L’enfant débat, donne son avis. Il stimule son cerveau qui crée de nombreuses connexions qui, à leur tour, augmentent ses facultés et ses performances cognitives et affectives. Le plaisir d’échanger, de voir ses propos écoutés, libère un « bain » de neurotransmetteurs qui favorisent le développement cérébral. La douceur et la bienveillance avec lesquelles l’enfant se sent écouté produisent des connections neuronales et développent différentes formes d’intelligence. Pendant que l’enfant apprend grâce au débat, en faisant des efforts de réflexion et d’expression verbale et corporelle, le cerveau évolue et investit pour l’avenir. Il y est poussé par la stimulation cognitive, couplée à la joie de vivre qui résulte du fait d’être écouté par les autres et de bénéficier de leur pleine attention.

Les parents ne devraient pas hésiter à inclure les enfants dans les discussions et les débats..

Progressivement, la capacité d’argumenter avec pertinence, que ce soit sur des sujets de réflexion ou de débat familiers ou sur de nouveaux sujets, va augmenter. De nombreuses études récentes montrent que la progression scolaire est bien plus favorisée par le plaisir et le développement de l’estime de soi que par la surexposition à des exercices notés, qui peuvent stresser et rabaisser le jeune enfant. Les enfants sont vulnérables, et se conforment vite à l’étiquette qu’on leur colle.

Concrètement, les parents ne doivent pas hésiter à inclure les enfants dans les discussions et les débats, selon les principes que nous avons exposés ci-dessus. Ils doivent aussi veiller à répondre à la volonté des enfants de démarrer des discussions dans leur propre référentiel, en s’assurant de les prendre au sérieux.

4. Petit à petit, au fil du temps, du plaisir, de l’entraînement et de son développement cognitif et affectif, on va pouvoir encourager l’enfant à argumenter de plus en plus, sans le « stresser », par des questions ouvertes. À partir de huit ans, l’enfant peut être initié à la métacognition et à la décentration, c’est-à-dire au fait d’adopter des points de vue alternatifs au sien. À cet âge, l’enfant devrait également être entraîné à comprendre la différence entre une opinion, un argument et une preuve.

  • Une opinion est l’expression d’une idée qui, en elle-même, n’est ni vraie ni fausse. C’est tout le travail préalable sur l’estime de soi qui permet à l’enfant d’exprimer très tôt ses opinions. « Je suis pour qu’on supprime toutes les écoles, pour être en vacances tout le temps » est une opinion. Elle peut facilement être exprimée par un enfant de cinq ans.
  • Un argumentation est une tentative de convaincre les autres par des informations et du raisonnement. Un enfant de huit ans pourrait argumenter ainsi : « Si on supprime l’école, on peut se lever plus tard et être en forme pour mieux apprendre à la maison ».
  • Une preuve correspond à des faits utilisés pour essayer de démontrer une opinion ou un argument. Elle peut être très puissante mais elle est rarement conclusive. Quand une preuve sans équivoque est présentée, les opinions alternatives se dissipent, à condition de pouvoir affectivement et cognitivement s’approprier le point de vue de celui qui donne la preuve. Quelque chose peut être prouvé de deux façons : soit par le raisonnement formel, accessible à partir de l’âge de neuf ans pour des situations concrètes et plus tard pour les raisonnements abstraits ; soit par la démonstration factuelle. Si un enfant déclare : « on peut faire peur à un chien agressif en lui courant après », il peut en fournir la preuve en vous en faisant la démonstration. Il n’y a alors plus besoin d’argumenter.

Dès 9-10 ans, on peut exercer l’enfant à distinguer et hiérarchiser opinion, argument et preuve dans ce qu’il dit et ce qu’il entend, à condition d’avoir respecté la tolérance à l’imperfection de ses arguments quand il n’avait que cinq-six ans. Ceci est indispensable pour la confiance en soi de l’enfant et son respect des autres. Cela lui permet de prendre du plaisir à argumenter, et d’augmenter son désir de s’exprimer de manière plus convaincante.

Critical thinking exercises for kids

Cas d’espèce

Pour ou contre la chasse ? Sur un sujet de société tel que celui-ci, concentrez-vous sur les concepts suivants :

1.Apprenez à votre enfant à distinguer :

  • Une opinion : « Je suis contre la chasse… »
  • Un argument : « … car elle entraîne de la souffrance animale et des morts chez les humains
  • Une preuve :
  • La chasse provoque une augmentation importante du niveau des hormones du stress (comme le cortisol) chez les animaux chassés
  • Près de 150 accidents de chasse sont recensés chaque année en France

2. Apprenez à votre enfant à s’entraîner à contre-argumenter :

  • Une opinion : « Je suis pour la chasse… »
  • Un argument : « … car elle permet une régulation des populations animales »
  • Une preuve : « Malgré la chasse, la population de sangliers est élevée et cause de nombreux dégâts agricoles ».
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Nouvelles perspectives

4. L’importance de l’estime de soi

En résumé:

Les enfants ont besoin d’estime d’eux-mêmes pour se considérer comme dignes d’exprimer leur opinion. Les parents peuvent renforcer l’estime de soi chez leurs enfants en les encourageant à essayer de nouvelles choses, en stimulant leur curiosité et se montrant fiers de ce qu’ils réussissent.

Comprendre l’importance de l’estime de soi, le fondement du raisonnement critique

Avant que les enfants puissent apprendre à analyser et critiquer une question complexe ou des opinions controversées, ils ont besoin d’avoir un fort sens d’eux-mêmes. Leur capacité à remettre en question des sources d’information extérieures dépend du sentiment de leur propre valeur et de leur sentiment de sécurité.

Les termes « confiance en soi » et « estime de soi » sont souvent utilisés comme synonymes. Il existe toutefois une différence entre les deux, même s’ils sont reliés. Pour avoir une bonne estime de soi, il faut d’abord avoir confiance en soi. Le sentiment de confiance, c’est croire en ses capacités de réussir.

L’estime de soi repose sur la conscience de sa valeur personnelle malgré les fragilités et les échecs. C’est savoir reconnaître ses forces et ses limites et, ainsi, avoir une vision réaliste de soi-même.

L’estime de soi requiert la capacité de reconnaître ses propres forces et faiblesses, et à s’accepter tel que l’on est..

Par exemple, un enfant peut avoir une bonne estime de lui-même tout en reconnaissant qu’il a des difficultés en mathématiques. L’estime de soi peut aussi varier d’un contexte à l’autre. Un enfant peut avoir une bonne estime de lui-même sur le plan social, mais une estime de soi à améliorer en ce qui concerne l’école.

L’estime de soi requiert la capacité de reconnaître ses propres forces et faiblesses, et à s’accepter tel que l’on est. Les enfants doivent apprendre à comprendre qu’ils ont de la valeur, même s’ils ne font pas tout parfaitement.

L’estime de soi se développe dès l’enfance. Déjà tout petit, l’enfant adopte un comportement qui reflète la manière dont il se perçoit. À partir de cinq ans, l’estime qu’il a de lui-même est particulièrement importante, car il fait face à de nombreux défis. Il doit, entre autres, devenir de plus en plus autonome, apprendre à lire, à écrire et à calculer. Cette période est riche et l’enfant a aussi besoin d’avoir confiance en lui. Et plus que partout ailleurs, c’est dans sa famille, à la maison, qu’il développe les bases de son estime de lui-même.

Un enfant qui a une bonne estime de lui-même peut :

  • avoir une vision juste de qui il est, et ne pas se surévaluer ni se sous-estimer
  • faire des choix
  • exprimer ses besoins, ses sentiments, ses idées et ses préférences
  • avoir confiance en l’avenir
  • oser prendre des risques et se donner le droit à l’erreur
  • ne pas perdre sa motivation à apprendre et à avancer
  • avoir des relations positives avec les autres
  • se faire confiance et faire confiance aux autres.

En tant que parent, le développement de votre propre estime de vous-même favorisera le développement de celle de votre enfant, dont l’identité est étroitement liée à la vôtre. Les enfants apprennent beaucoup en imitant leurs parents. Vous pouvez donc beaucoup les aider en travaillant sur votre propre estime de vous-même. Voici quelques exemples de ce que vous pouvez faire :

  • soyez ouvertement fier de vos accomplissements, même de ce qui vous paraît petit
  • faites des activités pour le plaisir (et non pour la performance)
  • n’accordez pas trop d’importance au regard des autres
  • ne vous rabaissez pas ; si vous avez fait une erreur ou si vous êtes moins bon dans une tâche, expliquez seulement à votre enfant que vous allez recommencer et apprendre à faire mieux la prochaine fois
  • au moment des repas, faites un tour de table où chacun raconte quelque chose de bien fait pendant la journée
  • sur une grande feuille de papier, inscrivez le nom des membres de la famille ; puis écrivez à côté de chaque nom les forces de cette personne.

5. Encourager l’estime de soi

En résumé:

Pour favoriser le développement d’une saine estime de soi chez l’enfant, les parents doivent établir un équilibre entre discipline et encouragements.

Le plus important de tout dans le développement de l’estime de soi du jeune enfant est l’amour inconditionnel que vous lui portez.

L’enfant doit ressentir et comprendre que votre amour ne dépendra jamais de ses actes, de ses réussites ou de ses échecs. C’est cet état mental qui permet à l’enfant de se jeter dans l’inconnu et de progresser, malgré les échecs inévitables qui acccompagneront l’acquisition de nouvelles compétences.

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Développer l’estime de soi

Mais attention à ne pas confondre amour inconditionnel avec absence d’autorité et de limite. Au lieu de développer l’estime de soi, l’absence de limites favorise le sentiment de toute puissance et l’incapacité de supporter la frustration. Il faut donc poser des limites et savoir être ferme, sans émettre de jugement. Le résultat attendu ne sera atteint que si l’effort et le respect du cadre ont été pris au sérieux.

L’estime de soi consiste à s’aimer tel que l’on est, dans ses forces et ses faiblesses, elle se fonde sur le fait d’avoir été aimé de cette façon depuis la naissance.

 

Conseils : Comment favoriser le développement de l’estime de soi chez son enfant ?

En tant que parent, vous avez une grande influence sur votre enfant, particulièrement à cet âge. Voici des manières de l’aider à construire son estime de soi :

  • valorisez les efforts de votre enfant et ses succès. Attention, l’effort demeure plus important que le résultat ;
  • n’hésitez pas à répéter à votre enfant qu’une erreur n’est pas un échec. Montrez-vous fier de lui, même s’il se trompe. Réfléchissez avec lui sur la manière de faire mieux la prochaine fois ;
  • laissez votre enfant accomplir des tâches domestiques, donnez-lui de petites responsabilités. Il se sentira utile et en retirera un sentiment de fierté ;
  • montrez à votre enfant que vous l’aimez tel qu’il est, sans condition, et non pour ce qu’il fait ou pour son apparence ;
  • laissez votre enfant exprimer ses émotions et sa pensée ;
  • amenez votre enfant à bien se connaître. Aidez-le à reconnaître ce qu’il aime et quelles sont ses forces ;
  • encouragez-le à prendre des décisions. Par exemple, laissez-le choisir ses vêtements pour la journée ;
  • invitez-le à relever des défis (à la mesure de ses capacités et de son âge).

Les erreurs à éviter

  • Évitez de surprotéger votre enfant. Non seulement vous l’empêcheriez d’apprendre, mais vous lui enverriez un mauvais message : il pourrait croire qu’il est incapable et qu’il n’est pas digne de confiance.
  • Ne le critiquez pas constamment. Si vous faites toujours des commentaires négatifs à votre enfant, et si vous vous montrez insatisfait de son travail ou de son comportement même quand il fait de son mieux, il va se décourager.
  • Si votre enfant n’agit pas correctement, mettez l’accent sur le comportement à modifier plutôt que sur sa personne. Par exemple, vous pouvez lui dire que son geste n’était pas gentil et non pas que lui n’a pas été gentil.
  • Soyez toujours respectueux envers votre enfant. Ne le rabaissez pas. Ce que vous lui dites a beaucoup d’impact sur l’image qu’il a de lui-même.
  • Montrez à votre enfant que vous vous intéressez à ce qu’il fait. Ne l’ignorez pas. Vous êtes encore au centre de son univers.
  • Ne le comparez pas à ses frères et sœurs ou aux autres enfants de son âge (« Ta sœur de quatre ans est capable de le faire ! ») Soulignez ses progrès sans le comparer à personne.
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Prise de risque

6. Le rôle des émotions

En résumé:

Les émotions constituent une part importante du développement cognitif de l’enfant, mais si elles le submergent elles peuvent se montrer contreproductives. Les parents doivent aider leurs enfants à apprendre à exprimer ce qu’ils ressentent calmement et à empêcher leurs émotions de devenir une source de distraction.

Comprendre le rôle des émotions dans le développement du raisonnement critique

Bien que le jeune enfant puisse développer ses facultés cognitives en matière de langage et d’argumentation et bénéficier d’une estime de soi qui lui permette de pouvoir s’affirmer et d’explorer l’inconnu, le développement de ses capacités de raisonnement critique sera limité s’il n’a pas appris à gérer ses émotions.

Les émotions prennent forme dans une zone du cerveau appelée système limbique, qui est très ancienne dans l’évolution de l’espèce humaine. Ce système se développe automatiquement à un très jeune âge. Mais très rapidement, l’enfant ressent la nécessité de freiner l’expression spontanée et illimitée de ses émotions. Ces émotions sont, bien entendu, étroitement connectées à ses relations de base aux autres (et le plus souvent à ses parents pour commencer) et aux normes culturelles.

Le lobe préfrontal contient la plus grande partie des réseaux de neurones qui vont réguler à la fois l’amplitude des émotions conscientes et leur expression dans le langage verbal et non verbal, ainsi que dans le comportement. À cinq ou six ans, l’enfant entre en CP où, assis chaque jour pendant des heures, il va devoir écouter des éléments d’apprentissage plus conçus en fonction des besoins de la société qu’en fonction des envies et des émotions des enfants. Le développement du lobe frontal permet l’inhibition des pulsions et la gestion des émotions, deux conditions requises pour les apprentissages intellectuels et le sentiment d’appartenance à la famille et à la société.

La capacité de gérer ses émotions a un double impact constructif dans le développement des facultés de raisonnement critique de l’enfant. Tout d’abord, elle permet à l’enfant de prendre le dessus sur ses émotions pour pouvoir mobilier son attention et se concentrer. Ceci est indispensable à la fois au développement cognitif en général et aux compétences argumentatives, logiques et critiques.

La gestion des émotions permet aussi de se poser et de convaincre et influencer les autres quand on prend la parole. Paradoxalement, l’enfant apprend qu’en gérant ses émotions (ce qui est au départ vécu comme une répression), il va avoir un impact sur ses camarades, être compris et même suivi. Le plaisir qu’il va en tirer va renforcer cet équilibre entre spontanéité et contrôle, et, en même temps, le plaisir de l’expression personnelle et le respect des autres vont augmenter. L’estime de soi va alors progresser, permettant également à l’enfant d’affirmer sa volonté.

Le développement des capacités critiques va bénéficier de ce niveau accru d’estime de soi. Mais il est important de se rappeler que tout est question d’équilibre.

Si la pression familiale ou sociale inhibe trop l’expression des émotions, le sentiment d’être unique et d’avoir une valeur personnelle va être compromis. Dans ce cas, même avec un développement cognitif normal (voire brillant), les facultés critiques de l’enfant pourront être inhibées. L’enfant ne pourra réellement devenir un individu à part entière et le développement de ses facultés critiques sera alors ralenti. Un tel enfant serait comme une simple cellule, et non comme un organe tout entier. Ce manque d’individualité se retrouve dans les conventions sociales et les systèmes éducatifs mis en place par les régimes totalitaires. Des personnes pourtant très intelligentes, cultivées et très logiques peuvent, sous de tels régimes, se retrouver dépourvues de toute compétence de raisonnement critique

 
L’émotion est le moteur psychologique de la cognition. Mais à dose élevée et incontrôlée, elle la noie..

Les émotions prennent forme dans une zone du cerveau appelée système limbique, qui est très ancienne dans l’évolution de l’espèce humaine. Ce système se développe automatiquement à un très jeune âge. Mais très rapidement, l’enfant ressent la nécessité de freiner l’expression spontanée et illimitée de ses émotions. Ces émotions sont, bien entendu, étroitement connectées à ses relations de base aux autres (et le plus souvent à ses parents pour commencer) et aux normes culturelles.

Le lobe préfrontal contient la plus grande partie des réseaux de neurones qui vont réguler à la fois l’amplitude des émotions conscientes et leur expression dans le langage verbal et non verbal, ainsi que dans le comportement. À cinq ou six ans, l’enfant entre en CP où, assis chaque jour pendant des heures, il va devoir écouter des éléments d’apprentissage plus conçus en fonction des besoins de la société qu’en fonction des envies et des émotions des enfants. Le développement du lobe frontal permet l’inhibition des pulsions et la gestion des émotions, deux conditions requises pour les apprentissages intellectuels et le sentiment d’appartenance à la famille et à la société.

La capacité de gérer ses émotions a un double impact constructif dans le développement des facultés de raisonnement critique de l’enfant. Tout d’abord, elle permet à l’enfant de prendre le dessus sur ses émotions pour pouvoir mobilier son attention et se concentrer. Ceci est indispensable à la fois au développement cognitif en général et aux compétences argumentatives, logiques et critiques.

7. Gérer ses émotions

En résumé:

Les parents ne devraient pas ignorer leurs enfants ni les faire taire simplement lorsqu’ils se comportent mal ou sont dépassés par leurs émotions. Ils devraient au contraire travailler avec eux à des stratégies pour y faire face et discuter par quel moyen ils pourraient exprimer leurs émotions plus calmement et de manière plus productive.

Comment aider nos enfants à gérer leurs émotions

Les émotions font partie de nous, il nous faut apprendre à les gérer et à les accepter. Pour aider un enfant à gérer ses émotions, il faut d’abord fixer des limites (par exemple, interdire de gaspiller la nourriture ou de mentir). Mais fixer des limites sur son comportement ne signifie pas fixer des limites sur ce qu’il ressent.

Vous ne pouvez pas empêcher votre enfant de se fâcher même si vous lui interdisez d’agir sous le coup de cette colère. L’envoyer dans sa chambre pour qu’il se calme ne l’empêchera pas d’être bouleversé et contrarié. Au contraire, en lui transmettant qu’il doit faire face à ses émotions tout seul, vous l’encouragez à les réprimer. Quand les enfants répriment leurs émotions, ils ne peuvent plus les gérer de manière consciente ce qui signifie qu’elles peuvent ressurgir à tout moment.

Un enfant en colère est non pas une mauvaise personne, mais une personne blessée. Lorsqu’un enfant perd le contrôle de ses émotions, c’est parce qu’il est submergé à ce moment-là..

Ces explosions, lorsque notre enfant semble totalement hors de contrôle, peuvent nous effrayer en tant que parents. En effet, à force de réprimer ses émotions, l’enfant ne parvient plus à les exprimer verbalement et la colère prend le dessus.

Ne pas reconnaître les émotions d’un enfant peut l’empêcher d’apprendre à se contrôler.

Conseils : Comment un enfant apprend-t-il à gérer ses émotions ?

Les enfants apprennent de nous. Quand nous crions, ils apprennent à crier. Quand nous parlons respectueusement, ils apprennent à parler respectueusement. De même, chaque fois que nous parvenons à contrôler nos émotions face à notre enfant, il apprend à réguler ses propres émotions.

Pour aider un enfant à gérer ses émotions, vous devrez lui expliquer clairement comment faire et en parler avec lui.

Même les enfants plus âgés ont besoin de se sentir connectés à leurs parents pour gérer leurs émotions. Quand nous remarquons que notre enfant a des difficultés à contrôler ce qu’il ressent, il est important de se reconnecter avec lui. Quand les enfants se sentent considérés et importants, ils deviennent plus coopératifs, et le sentiment de joie élimine les mauvais comportements.

La meilleure façon de rendre son enfant autonome est de lui faire confiance et de lui confier des missions et des petits défis.

Un enfant en colère est non pas une mauvaise personne, mais une personne blessée. Lorsqu’un enfant perd le contrôle de ses émotions, c’est parce qu’il est submergé. Contrôler ses émotions est au-delà de ses capacités à ce moment-là.

Si vous pouvez rester compatissant, votre enfant se sentira suffisamment en sécurité pour exprimer ce qu’il ressent. Si vous l’aidez à pleurer et extérioriser ses émotions, cette sensation d’être dépassé va disparaître, ainsi que sa colère et son agressivité. 

Estil important d’enseigner aux enfants un vocabulaire particulier pour exprimer leurs émotions ?

Bien sûr ! Mais n’essayez pas de forcer votre enfant à exprimer ses sentiments. Au lieu de cela, concentrez-vous sur l’acceptation de ses émotions. Cela lui apprendra que :

  • les émotions ne sont pas mauvaises, elles font partie de la richesse de l’être humain ;
  • même si nous ne pouvons contrôler tous les événements de notre vie, nous pouvons choisir notre manière d’y répondre et d’y réagir ;
  • lorsque l’on est à l’aise avec ses émotions, on les ressent profondément, puis elles se dissipent. Cela donne la sensation de lâcher prise et de réduire la pression.

Si vous lui enseignez activement ces leçons – et continuez à travailler sur le contrôle de vos propres émotions – vous verrez avec plaisir que votre enfant apprend à gérer ce qu’il ressent. Et au final, cela lui deviendra naturel.

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Gestion des émotions

8. Raisonnement critique et vie sociale

En résumé:

Le raisonnement critique est une norme sociale positive, mais il doit être soutenu par des connaissances de base et de véritables capacités de raisonnement. Sans elles, le raisonnement critique n’est qu’illusoire. Les parents devraient donc veiller à l’équilibre entre leurs encouragements face aux compétences argumentatives et à l’expression personnelle de leurs enfants et l’importance accordée à la rigueur intellectuelle.

Prendre en compte les normes sociales et les groupes de pairs

Un enfant ne grandit pas dans le vide. Au fur et à mesure de son développement, il fait siennes un grand nombre de normes et de manières de penser qui sont dominantes dans sa famille, son entourage, son école, et la société de manière générale. Les parents devraient donc être conscients des influences positives comme négatives que ces différentes sphères peuvent avoir sur leurs enfants, et devraient savoir ce qu’ils peuvent faire pour exposer leurs enfants à des normes qui favoriseront une pensée saine et indépendante.

Il semble que le droit, voire le devoir, de penser par soi-même et d’exercer son esprit critique soit de plus en plus liés aux notions de dignité et de singularité de la personne. De plus en plus de facteurs tels que l’âge, l’origine, le genre, le niveau de connaissance ou d’autres hiérarchies implicites, qui déterminaient traditionnellement qui « avait le droit » d’être critique semblent perdre de l’importance.

Il arrive ainsi de plus en plus fréquemment que des élèves, avec un aplomb déconcertant, reprennent leurs professeurs sur des questions d’histoire ou d’autres sujets, pourtant factuels. Cela soulève des questions importantes, notamment sur la place de l’enseignant, les objectifs de l’éducation et les relations entre générations.

Notre société encourage le raisonnement critique dès le plus jeune âge. Nous avons insisté sur le fait que bien que la rigueur intellectuelle soit très difficile pour les jeunes enfants, l’important était de développer l’estime et l’affirmation de soi. Mais nous avons aussi vu qu’à partir de huit ans environ, il était nécessaire de commencer à leur enseigner les compétences de raisonnement de base.

Le risque de faire du « droit à l’esprit critique » une norme sociale dès le plus jeune âge est d’abaisser les critères intellectuels. Si on n’accompagne pas les encouragements à penser de manière critique de progrès intellectuels dans d’autres domaines, alors le raisonnement critique n’est plus qu’un semblant de liberté de pensée et d’expression. Cela est aussi vrai pour les enfants que pour les adolescents ou les adultes.

Une population dans son ensemble peut se considérer commme vraiment libre et avoir une haute estime d’elle-même. Cependant, si la rigueur intellectuelle associée à l’argumentation, au débat et au raisonnement ne fait pas partie de la formation intellectuelle et sociale des enfants, cette population sera facilement manipulable. Donner à nos enfants la liberté d’exercer leurs capacités critiques doit s’accompagner de l’exigence de rigueur intellectuelle et de maîtrise de la langue, sans lesquelles le « raisonnement critique » n’offre qu’une illusion de liberté.

Un équilibre à trouver
Pour les parents actuels, il s’agit de trouver le bon équilibre entre le fait de stimuler la pensée critique dès le plus jeune âge, malgré les lacunes en matière de connaissance et de logique, et celui de développer les facultés cognitives et les savoirs de base de l’enfant. Sans ces facultés d’écoute, d’attention, de compréhension, d’expression, d’argumentation et de déduction, le raisonnement critique est une illusion, une vitrine pseudo-démocratique, pouvant conduire à une société rongée par l’ignorance et vulnérable face à la barbarie.

 

 

D’un autre côté, il n’est pas question de revenir aux anciennes normes sociales, quand on demandait à l’enfant de seulement se taire et d’apprendre passivement ses leçons. La seule chose que l’on s’assure avec une telle approche est que l’enfant ne deviendra pas un fauteur de trouble.

Ce dont nous avons besoin est d’une approche qui coordonne d’un côté les progrès de la philosophie et de la psychologie, qui considèrent l’enfant comme une personne à part entière, et de l’autre la compréhension de l’immaturité intellectuelle et cognitive de cet enfant.

Ne pas être d’accord de manière civilisée, au final, nous permet d’être d’accord sur l’essentiel.

C’est l’accompagnement par l’adulte, affectueux, bienveillant, mais aussi parfois limitant et guidant, à la fois stimulant intellectuellement et indulgent et patient avec les besoins de l’enfant, qui rend compatible le développement précoce de l’affirmation de soi et du raisonnement critique avec la montée en puissance des aptitudes intellectuelles.

Ces aptitudes intellectuelles sont également indispensables pour une vie sociale saine. Les gens dépouvus de maturité sociale ne peuvent même pas tirer profit de leurs désaccords ; il leur manque la capacité de débattre de sujets dignes d’intérêt critique, ainsi que les compétences sociales et cognitives d’écoute, d’argumentation et de déduction logique. Ne pas être d’accord de manière civilisée, au final, nous permet d’être d’accord sur l’essentiel.

Cas d’espèce

Imaginons cette discussion entre deux enfants de huit ans :

– Hier, j’ai vu une émission à la télé qui prouvait que les extra-terrestres existent. Plein de gens les ont vus, et il y a des traces de soucoupes volantes dans le désert aux Etats-Unis !

– Mais il n’y a pas de preuves. Les indices et les témoignages n’étaient pas très précis. Par exemple, les témoins décrivent les extra-terrestres de manière très différente, certains disent qu’ils sont petits et verts, d’autres qu’ils sont grands avec les yeux qui brillent. Et les traces de soucoupes volantes, ça peut être aussi des tornades qui les forment dans le sable.

– Tu te crois plus intelligent que les scientifiques de l’émission d’hier peut-être ?

L’un affirme avoir vu une émission de TV qui prouve l’existence des extra-terrestres. Il considère comme acquis que tout ce que l’on voit à la télé est vrai. Le second a été éduqué avec une norme qui remet les affirmations en question et exige des preuves. Le premier enfant ne comprend pas le deuxième, car pour lui le fait de l’avoir vu à la télé est une preuve. À partir de là, la discussion ne peut que tourner en rond. Les normes sociales ou familiales différentes sont dans ce cas incompatibles.

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Réflexion indépendante

Cas Pratique 1

Metacognition

Dès le plus jeune âge, on peut faire prendre conscience à un enfant de la manière dont il raisonne. Une bonne façon de l’aider à cultiver cette métacognition est de lui montrer l’éventail de méthodes disponibles pour résoudre un problème particulier. En voyant toutes les méthodes possibles pour résoudre un problème de maths, par exemple, les enfants peuvent commencer à réfléchir à leur propre processus de pensée et évaluer les différentes stratégies cognitives. Cela va progressivement leur ouvrir le monde du raisonnement. Ils vont commencer à prêter attention à la manière dont ils résolvent des problèmes ou accomplissent des tâches qui impliquent du raisonnement, au lieu de se concentrer sur le seul fait de répondre correctement ou d’accomplir la tâche.

Par exemple, comment un enfant calcule-t-il 6 x 3 ?

Plusieurs possibilités :

  1. Il peut additionneer 6 + 6 + 6
  2. Il pourrait se souvenir que 6 x 2 = 12, et ajouter encore 6 pour arriver à 18
  3. Il a mémorisé le résultat et le restitue : 18
  4. Il pourrait dessiner une grille de 6 unités sur 3, puis compter le nombre de cases dans la grille

Ou il pourrait utiliser encore d’autres techniques…

Notre culture valorise des résultats exacts et précis mais a tendance à ne pas prêter assez attention au chemin emprunté pour y arriver. Or, si l’enfant a conscience de son propre cheminement, il sera plus à même de maîtriser la technique, et de la perfectionner jusqu’au stade où il pourrait décider d’en changer s’il voulait, par exemple, gagner en rapidité. Il est donc important de l’aider à comprendre la méthode qu’il utilise jusqu’à ce qu’il soit capable de l’expliquer lui-même.

Quand ils aident leurs enfants à faire leurs devoirs ou dans d’autres projets qui impliquent de la réflexion, les parents devraient leur demander d’expliquer eux-mêmes, de décrire les étapes qu’ils franchissent pour résoudre un problème particulier, et discuter avec eux des avantages et des inconvénients de cette méthode par rapport à d’autres. Il en résulterait une compréhension plus profonde non seulement de la tâche à accomplir, mais aussi de la pratique du raisonnement lui-même.

Cas Pratique 2

Preuve Logique

À ce stade, nous pouvons commencer à introduire des concepts et des distinctions logiques rudimentaires. Dans les conversations courantes, les enfants ont déjà commencé à utiliser ce que nous pourrions appeler « la logique naturelle ». Par exemple, ils pourraient entrer dans des débats dans lesquels ils tirent des conclusions à partir de postulats (comme dans l’exemple ci-dessous). Quand les enfants utilisent ce genre d’arguments, les parents peuvent intervenir pour leur apprendre les concepts logiques de base et leur demander comment une conclusion donnée peut être prouvée ou, au contraire, réfutée.

Une des distinctions pertinentes à enseigner à cet âge est celle entre la preuve logique (une preuve qui tire des conclusions à partir de certains postulats) et la preuve factuelle (une preuve qui utilise des faits réels pour prouver ou réfuter une affirmation). L’anecdote suivante permet ce type de leçon :

Matteo et Lucie, deux enfants qui promènent leur chien dans un parc, discutent au sujet des labradors :

– « Il existe deux sortes de labradors, les blancs et les noirs. » déclare Matteo ;

– « C’est faux, il existe aussi des labradors chocolat, mon ami Simon en a un. » répond Lucie ;

-« Alors ce ne doit pas être un labrador », conclut Matteo.

Comment interpréter cet échange ?

Sous l’angle de la preuve logique, si les labradors sont soit noirs, soit blancs, alors le « labrador » chocolat de Simon ne peut pas être un labrador. C’est une preuve formulée de manière logique. Le raisonnement est correct. C’est le postulat de départ, la déclaration initiale de Matteo selon laquelle il n’y a que deux sortes de labradors, qui est faux. Il est donc possible pour Matteo d’aboutir à une conclusion erronée même si sa logique est techniquement bonne.

Sous l’angle de la preuve factuelle, si on peut prouver que le chien de couleur chocolat a pour parents deux labradors, on prouve factuellement que le postulat de Matteo est faux : il y a au moins trois types de labradors.

Il y a beaucoup d’occasions comme celle-ci pour commencer à rendre explicites les étapes logiques au cours des conversations quotidiennes avec votre enfant, et pour lui montrer qu’il utilise déjà la logique même s’il ne s’en rend pas compte. Cela permet de l’amener à réfléchir à sa propre pensée, et rend les sujets de la logique et du raisonnement moins intimidants.

Cas Pratique 3

Nouvelles perspectives et dépassement des biais

Les anecdotes suivantes montrent comment les parents peuvent utiliser des événements de la vie courante pour aider leurs enfants à mieux comprendre et considérer d’autres points de vue que les leurs. Pour pouvoir penser de manière critique, les enfants doivent être capables de s’extraire de leur propre expérience et de leur propre point de vue, par l’imagination et l’empathie. Ils commencent ainsi à prendre conscience des limitations que leur éducation et leur milieu leur impose nécessairement.

C’est une part vitale de la métacognition car elle permet aux enfants de se voir, de voir leurs attitudes et leurs idées comme de l’extérieur. Ils améliorent leurs capacités de dépasser les biais, les préjugés et les erreurs de raisonnement. Ce processus leur permet aussi d’envisager le point de vue des autres et, dans le futur, de participer dans des discussions et des débats avec plus de tolérance et de nuance. Au final, cela les encourage à rechercher de nouvelles expériences et de nouveaux points de vue, et à développer leur curiosité intellectuelle.

Dans la première anecdote, une petite fille apprend à élargir son horizon grâce à l’interaction avec un autre enfant dont l’expérience est différente de la sienne. Dans la seconde, un petit garçon découvre que l’attitude que l’on a vis-à-vis de certains objets dépend fortement du contexte dans lequel on en fait l’expérience.

La peur des orties

Jeanne a huit ans et elle vit dans un petit village de Normandie. Ses parents ont plusieurs animaux, dont deux labradors.

Max, le cousin de Jeanne, a neuf ans et demi et vit dans le centre de Paris.

 

Max est toujours heureux de rendre visite à Jeanne ; ils jouent ensemble dehors, imaginent des aventures et grimpent aux arbres. Mais il a terriblement peur des deux grands chiens de Jeanne ; quand ils s’approchent de lui, il pousse des hurlements et court se réfugier dans la maison. Ces situations font beaucoup rire Jeanne qui se moque de son cousin, le traite de « trouillard » et invente des stratagèmes pour que Max se retrouve en présence des chiens.

Jeanne n’a pas conscience que, contrairement à elle, Max n’est pas habitué à la présence d’animaux dans son environnement quotidien. Elle interprète l’attitude de Max uniquement à la lumière de sa propre expérience.

Que feriez-vous à la place des parents de Jeanne ?

Le soir à table, la mère de Jeanne lui demande d’arrêter d’embêter Max et explique qu’il n’a pas l’habitude des animaux car son mode de vie est différent.

Elle demande à Max de décrire la vie en ville. Max raconte son quotidien, et notamment le fait qu’il prend le métro seul le matin pour aller à l’école qui se trouve à deux stations de chez lui.

Jeanne blêmit : « Tu prends le métro tout seul ? Je ne pourrais jamais faire ça, j’aurais trop peur de me perdre. »

Sa mère lui dit alors : « Tu vois, Jeanne, tu t’es fait piéger, tu pensais que ton cousin était comme toi. Nous sommes tous différents. Tu dois t’en souvenir à l’avenir car tu as un peu tendance à l’oublier. »

La discussion engagée a donné à Jeanne l’occasion de dépasser son égocentrisme en prenant conscience qu’elle et Max vivaient dans des mondes différents. Ainsi, elle comprend que même si Max a peur des chiens (contrairement à elle), il est capable d’actions qui l’intimident, comme prendre le métro tout seul. Elle peut alors porter un regard critique sur sa manière de penser grâce à un exemple « méta » de ses propres représentations du monde et, au final, changer d’attitude vis-à-vis de son cousin.

En tant que parents, nous devrions rechercher ce genre d’occasions et en tirer profit pour ouvrir nos enfants à de nouveaux points de vue, notamment en ce qui concerne les préjugés non remis en cause qu’ils pourraient avoir sur leurs camarades ou des étrangers. Ils apprendront progressivement à identifier et se prémunir de ces tendances que nous avons tous à généraliser imprudemment à partir de notre expérience limitée. De plus, ils développeront la capacité de voir les choses selon d’autres perspectives, et de s’intéresser à ce qui existe en dehors de leur cadre étroit.

La peur des orties

Joseph a récemment fait un voyage de classe à la campagne. Avant une promenade, le professeur a prévenu ses élèves de rester à distance des orties qu’ils allaient rencontrer. Ces orties piquantes peuvent causer des démangeaisons désagréables et des brûlures.

Quelques jours plus tard, Joseph découvre que ses parents ont prévu une soupe d’ortie pour le dîner. L’eau bouillante permet de toucher et de manger les orties sans risque. Mais il refuse d’en manger, car son expérience lui a enseigner de garder les orties le plus loin possible de son corps, et a fortiori de sa bouche.

 

Tout d’abord, Joseph refuse avec force d’y goûter et insiste pour avoir une pizza à la place. Mais ses parents restent fermes et lui montrent que la soupe ne présente aucun risque en en mangeant eux-mêmes. Finalement, Joseph cède et goûte la soupe. Il se rend compte que cela ne lui fait aucun mal, et même, à sa grande surprise, qu’il aime ça.

Les enfants qui ne savent pas que les orties peuvent être mangées sans risque formulent leur préjugé contre la soupe en se basant uniquement sur leur expérience, qui est limitée au caractère irritant des orties. Ce type de situations d’apprentissage peuvent être des moments propices pour les parents pour montrer à leurs enfants de quelle manière ils tirent à tort des généralités de leur expérience limitée, et comment cette expérience peut conduire à des biais injustifiés. Ces préjugés peuvent même les empêcher d’essayer de nouvelles choses qui pourraient très bien enrichir leur vie.

Cas Pratique 4

Développer l’estime de soi

L’escalade
Manon et Ali, qui ont tous les deux cinq ans, se trouvent sur un terrain de jeux et regardent un mur d’escalade spécialement adapté aux 5-10 ans.

Manon

Manon s’approche du mur, le regarde et touche les prises. Elle commence à monter en se hissant sur les bras puis pose ses pieds sur les prises pour soulager ses bras.

Arrivée à 50 cm environ du haut du mur, Manon se fige.

« Vas-y Manon, tu y es presque ! Allez, encore un effort, tu en es capable ! » lui lance son père depuis le banc sur lequel il est assis.

Manon regarde le haut du mur. Elle voudrait réussir à monter encore mais ses mains lui font mal à force de serrer les prises. Elle lâche tout et tombe sur le revêtement souple de l’aire de jeu.

« C’est dommage, tu y étais presque », commente son père.

Ali

Le père d’Ali s’approche de son fils :

« Tu as envie d’essayer ? Tu vois, il faut attraper les prises avec tes mains, puis poser les pieds sur les prises du bas. Ensuite tu montes tes mains, puis les pieds, puis les mains, puis les pieds… Va doucement, c’est difficile au début. Regarde où sont les prises avant de monter. »

Ali se place au pied du mur et attrape les prises pour sentir leur matière. Il commence à monter en suivant les conseils de son père.

Ali grimpe doucement. Il est à la moitié du mur environ, bien en-dessous du niveau que Manon a atteint. Il demande à descendre, son père le prend dans ses bras et le pose au sol.

« C’est super, mon grand ! Pour un premier essai, tu t’es débrouillé comme un chef, je suis fier de toi. Ce mur n’est pas facile, il est fait pour les enfants jusqu’à 10 ans. »

Dans ces deux exemples de comportement pour une même situation, quel est l’impact de l’attitude des parents sur l’estime de soi de l’enfant ? Quel souvenir chaque enfant gardera-t-il de cette première expérience de l’escalade ?

Il est probable que Manon en garde un sentiment d’échec, et qu’elle pense avoir déçu son père de ne pas avoir atteint le haut du mur dès son premier essai. Il est possible qu’ elle ne souhaite pas renouveler l’expérience dans le futur, et hésite à se lancer dans de nouveaux défis.

Bien qu’Ali ne soit pas monté aussi haut que Manon, sa première expérience de l’escalade aura probablement été vécue comme valorisante. Ses efforts ont été reconnus et encouragés par son père. Il sera sans doute motivé pour faire d’autres tentatives dans le futur, en escalade comme dans de nouvelles activités nécessitant un effort.

Cas Pratique 5

Prise de risque

Un aspect important pour le développement des capacités de raisonnement critique des enfants de cet âge est de les encourager à prendre des risques. Les parents devraient veiller à ne pas être trop critiques quand leurs enfants font des erreurs. Ils devraient aussi être proactifs pour les mettre face à de nouvelles situations potentiellement difficiles. Au final, les parents devraient pousser leurs enfants à se mettre en risque dans ces situations, en particulier quand il s’agit d’avancer des arguments ou de répondre à des questions. S’ils se trompent (ce qui est inévitable), les enfants doivent être encouragés et soutenus plutôt que critiqués. Se tromper ne doit pas devenir une source de honte pour l’enfant, c’est au contraire une occasion d’apprendre et de grandir.

Prenons l’anecdote suivante :

Laura et Adam, deux camarades de classe de huit ans, sont assis côte à côte dans une salle de spectacle. Avec une soixantaine d’enfants, dont leur classe, ils assistent à une reconstitution historique dans le cadre d’une sortie scolaire.

Avant le lever de rideau, l’animateur qui présente le spectacle interroge les enfants :

« Qui peut me donner le nom de l’empereur romain qui a conquit la Gaule ? »

Adam, qui est un grand lecteur d’Astérix, connaît la réponse (Jules César) et a très envie de la donner, mais il craint aussi de se tromper devant tout le monde et, de ce fait, choisit de se taire.

Laura hésite. Elle a plusieurs noms en tête en repensant aux leçons d’histoire : Néron, Caligula, etc. Mais après quelques secondes, n’y tenant plus, elle s’écrit : « C’est Jules César ! »

L’animateur la félicite, et le spectacle commence.

Dans cette situation, on constate deux attitudes différentes face au risque d’erreur :

  1. Adam préfère se taire plutôt que de prendre le risque de donner une mauvaise réponse. On peut faire l’hypothèse qu’Adam a associé l’erreur à quelque chose de mal, qui peut lui valoir la désapprobation, la moquerie voire une sanction. Il a donc intégré une pression selon laquelle seule la perfection est acceptable, ce qui a pour résultat d’inhiber sa capacité à faire des essais.
  2. Laura, à l’inverse, préfère prendre le risque de se tromper plutôt que de se taire. On peut faire l’hypothèse qu’elle n’éprouve pas de honte à se tromper, et que dans tous les cas l’envie d’essayer et le plaisir du risque l’emportent sur l’inconvénient de se tromper.

Nous apprenons de nos essais et de nos erreurs, ce qui est nécessaire pour développer une capacité à raisonner. La prise de risque, les essais et les erreurs sont donc indispensables.

Les environnements de l’enfant, et notamment l’attitude des parents face à l’erreur, sont des facteurs déterminants de la manière dont il appréhendera le risque et s’accordera le droit à l’erreur.

Cas Pratique 6

Gestion des émotions

En plus de considérer objectivement leurs expériences et leurs raisonnements, à cet âge-là les enfants devraient commencer à réfléchir sur leurs émotions et à apprendre des stratégies pour les gérer. Sans ces facultés, ils seront continuellement submergés par ces émotions, qui les empêcheront de réfléchir correctement. L’anecdote ci-dessous peut-être utilisée comme modèle par les parents qui souhaitent aider leur enfant à apprendre à exprimer et gérer ses émotions, et à réfléchir clairement malgré des réactions émotionnelles fortes.

Eddy, sept ans, est en vacances au bord de l’océan avec ses parents. Ces derniers proposent une excursion de quelques heures en bateau jusqu’à une île voisine. Là, ils pourront visiter le phare.

Eddy, qui est en train de jouer avec ses figurines, refuse de se préparer pour l’excursion comme le lui demandent ses parents.

« Je n’ai pas fini de jouer ! Je veux rester ici », s’exclame-t-il.

– Tu peux jouer avec tes figurines toute l’année à la maison, Eddy, alors qu’une balade en bateau c’est quelque chose d’exceptionnel, que l’on ne peut faire qu’en vacances », argumente sa mère. « Allez, dépêche-toi de mettre tes chaussures et de prendre ton sac. Prends aussi un gilet, il peut faire froid en mer. »

Alors que ses parents sont prêts, Eddy n’a pas bougé. Il continue de jouer en leur tournant le dos.

«  Eddy maintenant ça suffit, tu te lèves, tu te prépares, et on y va », ordonne son père en haussant légèrement le ton.

Sans les regarder, Eddy éclate en sanglots.

«  Je ne veux pas aller sur un bateau ! J’ai peur de tomber à l’eau ou que le bateau coule. Il y a des requins. Et puis j’ai peur de nager quand je n’ai pas pied et quand c’est trop profond », dit-il d’une voix chevrotante.

« Tu aurais dû le dire tout de suite, Eddy ! Je n’avais pas compris que le bateau t’inquiétait. Je n’y avais même pas pensé. Mais tu sais, c’est normal d’avoir peur la première fois. Et puis l’océan c’est impressionnant, c’est sûr. Voilà ce que je te propose : nous allons regarder ensemble la météo marine. J’ai vérifié tout à l’heure, c’est une très belle journée avec une mer très calme. Et puis il n’est pas question de se baigner au large. Nous irons nous baigner en rentrant, en fin d’après-midi, à notre plage habituelle. Et sur le bateau, nous aurons de gilets de sauvetage, ce sera impossible de se noyer ! Est-ce que tu es rassuré ?

– Oui… Mais je ne veux pas que tu me prennes pour un trouillard…

– Il n’y a aucune honte à avoir peur. C’est un sentiment naturel qui nous sert à nous protéger des dangers. Il faut toujours le dire lorsque tu as peur. Si tu n’exprimes pas ce que tu ressens, je ne peux pas le deviner ! »

Dans cette situation, après un moment de flottement, Eddy a su exprimer sa peur. Ses parents accueillent cette émotion et argumentent à partir de ce sentiment pour le rassurer avec des éléments concrets et objectifs, qui l’aident à comprendre ce qu’il ne connaît pas. De cette manière, il pourra se sentir en totale sécurité sur le bateau.

Si Eddy n’avait pas exprimé sa peur, par crainte du jugement, de la colère voire des moqueries de ses parents, la situation aurait pu prendre la tournure suivante :

  • il aurait refusé catégoriquement de faire cette excursion et ses parents auraient dû soit le forcer, soit renoncer à la sortie ;
  • il aurait obéi sans rien dire mais avec des angoisses qui auraient gâché la sortie.

Bien que gérer et exprimer ses émotions puisse sembler éloigné du raisonnement critique, le fait que les enfants aient suffisamment confiance en eux pour reconnaître et accepter leurs émotions est une condition préalable indispensable à une réflexion critique et indépendante. Sinon, ils sont incapables de mettre leurs émotions de côté afin de réfléchir à des questions ou des scénarios compliqués d’une manière claire et non biaisée.

Cas Pratique 7

Réflexion indépendante

Dans certains cas, les enfants qui sont capables de réfléchir à leurs croyances, leurs raisonnements et leurs émotions, peuvent aussi y rajouter l’analyse d’une information qui les stimule. La quantité de médias auxquels les enfants sont exposés aujourd’hui peut paraître énorme, mais ces médias peuvent aussi donner l’occasion d’apprendre à mettre en pratique leurs facultés d’analyse critique. Les parents peuvent guider leurs enfants dans ces situations, en leur posant des questions et en leur demandant d’expliquer ce qu’ils croient et ce qu’ils pensent. À cet âge-là, les préparer à une réflexion indépendante et critique n’a pas besoin d’interférer avec leur monde imaginaire, comme le montre l’exemple suivant. 

Tom, qui a six ans, vient juste d’envoyer une lettre au Père Noël. Maintenant, il regarde la télévision en zappant, lorsqu’une émission sur Noël attire son attention.

1ère partie

Le présentateur de l’émission explique que de nos jours, les enfants ne croient plus au Père Noël. Noël est désormais une fête complètement commerciale. Et d’ailleurs, la couleur rouge qui symbolise Noël a été inspirée par la marque Coca-Cola.

  • 1er sujet de l’émission : « Qu’en disent les premiers intéressés ? ». Une journaliste interroge plusieurs enfants à la sortie de l’école. Les enfants lui répondent que ce sont les parents qui racontent cette histoire de Père Noël, mais qu’en vrai il n’existe pas, pas plus que les sorcières et les fantômes. Ils disent savoir ce qu’ils vont recevoir pour Noël et combien ça coûte. Leur petit frère ou petite sœur y croit peut-être encore mais eux ne sont plus des bébés. Qu’ils aient été sages ou pas, ils savent qu’il y aura toujours des cadeaux pour eux sous le sapin.
  • 2nd sujet de l’émission : « Le Père Noël, un vendeur». Des images en arrière-plan montrent des files d’attente aux caisses des magasins de jouets, des parents poussant des chariots pleins, d’autres prenant les rayons en photo avec leur téléphone. On voit des Pères Noël de toutes les tailles et de toutes les corpulences, dans des galeries marchandes, des crèches, dans la rue ou encore assis dans des calèches tirées par des ânes. Une voix off donne des chiffres sur le budget cadeaux moyen pour les familles, ainsi que la proportion de cadeaux achetés en magasin et en ligne.

Finalement, le présentateur réapparaît à l’écran et conclut d’un «  On est loin de la magie de Noël ! » avant la coupure publicitaire.

2ème partie

Le père de Tom est entré dans le salon au cours de l’émission et en a vu une partie. Il sent son fils à la fois perplexe et contrarié.

« Pourquoi est-ce que tu crois au Père Noël, Tom ? Quelles sont tes raisons, à toi ?

– Parce qu’il vient tous les ans depuis que je suis petit. Parce qu’il vient pendant la nuit. Qui d’autre pourrait venir en pleine nuit ? Parce qu’il boit toujours le chocolat chaud qu’on lui laisse au pied du sapin et mange les biscuits. Parce que je l’ai vu plusieurs fois, à l’arbre de Noël de l’école et dans les magasins. Parce que personne d’autre ne pourrait fabriquer et livrer des jouets à tous les enfants.

– Oui ce sont de très bonnes raisons de croire, Tom. Et à l’école, vous en parlez entre vous ?

– Les grands disent comme à la télé, qu’il n’existe pas, que ce sont les parents. Lorsque j’ai dit que ce n’était pas possible que les cadeaux arrivent seuls la nuit au pied du sapin, ils m’ont traité de bébé. Du coup, je ne dis plus rien.

– Je crois que tu as raison de donner ton avis et de dire ce que tu penses vraiment. Il y a ce que la télévision dit, il y a ce que les copains disent, et puis il y a ce que toi tu crois. C’est important que tu l’exprimes et que tu fasses valoir ton point de vue. Il faut écouter aussi, bien sûr, car on ne détient pas toujours la vérité. Mais avoir ses propres idées et les exprimer est très important tout au long de la vie. »

Analyse

Qu’auriez-vous fait à la place du père de Tom ?

Aurait-il été préférable de dire à Tom la vérité sur le Père Noël, en allant à l’encontre de ses convictions et de son imaginaire ? Si le père de Tom avait fait cela, quelle valeur accorderait son fils à sa propre réflexion ? Osera-t-il défendre son point de vue à l’avenir ?

Dans cet échange, le père a choisi de valoriser les arguments de Tom en leur apportant du crédit et en félicitant la manière dont il a exprimé son opinion personnelle. Il n’a pas donné son avis sur le fond, mais a orienté la discussion sur la confrontation de points de vue différents et sur le débat. Il espère que Tom comprendra la valeur de ses arguments, bien qu’ils soient contredits par ce qui a été dit dans l’émission de télé. Ainsi, la prochaine fois qu’il sera confronté à une situation de ce type, Tom aura probablement suffisamment confiance en lui pour exprimer un point de vue autonome vis-à-vis de l’information qu’il reçoit.

La répétition de situations de cette nature devrait permettre à Tom de développer ses capacités de raisonnement critique. Elles vont renforcer et consolider son estime de soi, et construire sa confiance en sa capacité à développer ses propres pensées.

Cette situation pourrait sembler contre-intuitive. Généralement, nous associons le développement du raisonnement critique avec la remise en question de certaines croyances, dans ce cas précis la croyance dans l’existence du Père Noël.

Ce point de vue, cependant, ne fait que projeter notre propre vision d’adulte sur l’enfant. Les enfants de cet âge doivent plutôt être encouragés à s’exprimer, à être créatifs dans leur argumentation et à croire en la valeur de leur point de vue, plutôt qu’en une vérité assénée par les adultes, les médias ou leurs camarades.

La gestion des émotions permet aussi de se poser et de convaincre et influencer les autres quand on prend la parole. Paradoxalement, l’enfant apprend qu’en gérant ses émotions (ce qui est au départ vécu comme une répression), il va avoir un impact sur ses camarades, être compris et même suivi. Le plaisir qu’il va en tirer va renforcer cet équilibre entre spontanéité et contrôle, et, en même temps, le plaisir de l’expression personnelle et le respect des autres vont augmenter. L’estime de soi va alors progresser, permettant également à l’enfant d’affirmer sa volonté.

Le développement des capacités critiques va bénéficier de ce niveau accru d’estime de soi. Mais il est important de se rappeler que tout est question d’équilibre.

Si la pression familiale ou sociale inhibe trop l’expression des émotions, le sentiment d’être unique et d’avoir une valeur personnelle va être compromis. Dans ce cas, même avec un développement cognitif normal (voire brillant), les facultés critiques de l’enfant pourront être inhibées. L’enfant ne pourra réellement devenir un individu à part entière et le développement de ses facultés critiques sera alors ralenti. Un tel enfant serait comme une simple cellule, et non comme un organe tout entier. Ce manque d’individualité se retrouve dans les conventions sociales et les systèmes éducatifs mis en place par les régimes totalitaires. Des personnes pourtant très intelligentes, cultivées et très logiques peuvent, sous de tels régimes, se retrouver dépourvues de toute compétence de raisonnement critique

 

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