Un logiciel peut-il aider à mieux argumenter ?

Par Helen Lee Bouygues

Photo Credit: GETTY

Même si tout le monde s’accorde à dire que le raisonnement critique devrait être enseigné à l’école, la mise en pratique n’est pas si simple. Mais il est de plus en plus prouvé que les cartes conceptuelles peuvent aider les étudiants à mieux réfléchir, et une revue de la recherche à paraître défend l’idée que permettre à des étudiants de créer des organisateurs en ligne conduit à de meilleures capacités de raisonnement. Les auteurs déclarent ainsi que les outils cartographiques sont tout simplement « un moyen très efficace d’enseigner le raisonnement critique ».

Les cartes conceptuelles en tant qu’approche pédagogique ne sont pas nouvelles, loin de là. On peut faire remonter au moins aux années 1970 cette pratique consistant à créer des diagrammes qui représentent visuellement un ensemble d’idées. Variante des cartes conceptuelles, les cartes argumentaires incitent à transformer en diagrammes les étapes d’une argumentation.

Par exemple, voici ci-dessous une carte argumentaire provenant d’un article publié par le chercheur Charles Twardy, une simple carte 2D établie pour cet énoncé : « Socrate est mortel parce que Socrate est humain ».

 

Même avec un exemple aussi simple, les bénéfices apportés par la carte argumentaire sont très clairs. En visualisant les allégations qui le composent, on perçoit mieux les forces et les faiblesses de l’énoncé, et dans cet exemple on voit que Twardy fournit peu de preuves que Socrate soit mortel au-delà du fait qu’il soit humain.

Un article à venir rassemble une grande quantité de données de recherche corroborant l’idée que les cartes argumentaires stimulent le raisonnement critique. Cet article, écrit par Martin Davies, professeur associé à l’Université de Melbourne, et ses collègues, cite un grand nombre d’études prouvant l’impact des cartes argumentaires : elles vont parfois jusqu’à doubler, voire tripler, l’impact d’un cours traditionnel de raisonnement critique. Un des avantages des cartes argumentaires est de faire se concentrer les étudiants sur les inférences. D’après l’article de Davies et ses collègues, il est en effet très facile de rater les sauts dans le raisonnement qui vont composer une allégation. La carte argumentaire résout ce problème en soulignant les affirmations qui mènent à l’argument, permettant ainsi de mieux comprendre comment construire une argumentation de meilleure qualité. L’article souligne également que les cartes argumentaires en ligne présentent également des avantages pour les enseignants. À l’inverse de beaucoup d’autres techniques pédagogiques, cette approche est très facile à mettre en place dans une classe, et permet aux étudiants de « se lancer dans un apprentissage exploratoire autonome en essayant différentes structures d’argumentation afin de trouver celle qui fonctionne le mieux ».

En ce qui concerne l’enseignement du raisonnement critique, les cartes argumentaires sont plus efficaces que beaucoup d’autres interventions. Dans un article précédent, Davies remarquait que des étudiants du supérieur utilisant les cartes argumentaires sur une durée de 10 semaines amélioraient autant leurs capacités de raisonnement critique que des étudiants ayant suivi pendant quatre ans une formation au raisonnement critique plus conventionnelle. On suppose même que 10 semaines de pratique des cartes argumentaires ne soient pas nécessaires, Davies soulignant que certains étudiants montraient des gains dans leurs compétences de raisonnement critique après une heure seulement d’utilisation d’un outil cartographique.

Ces outils sont aujourd’hui largement disponibles sous forme de packages ; certains (Rationale par exemple) sont payants, tandis que d’autres comme MindMup sont gratuits, nous précise Davies. Mais une approche à l’ancienne ne doit pas pour autant être écartée, et une étude de l’Université Carnegie-Mellon a montré qu’établir une carte argumentaire à l’aide d’un papier et d’un crayon donnait aussi de bons résultats.

Les cartes argumentaires ont bien entendu leurs inconvénients. Tout d’abord, cette pratique présente le risque que les étudiants arrêtent de réfléchir, les outils permettant de produire si facilement une argumentation après l’autre. Quand nous avons questionné Davies à ce sujet, il a évoqué dans sa réponse par email un autre défaut potentiel : « Les cartes mentales sont faites pour aider à visualiser les associations, ou les liens trop flous entre des concepts et des idées. Mais elles ne vont pas nécessairement vous aider à structurer les connexions au sein des argumentations, ni à atteindre une conclusion à partir de principes, établis ou non. »

 

Mais, au final, les cartes argumentaires devraient faire partie de la boîte à outils de chaque enseignant désireux de transmettre des compétences de raisonnement plus affûtées. C’est une approche peu coûteuse, facile à utiliser et dont l’utilité a été prouvé, ce qui en fait, toujours selon Davies, « une méthode évidente pour les institutions pédagogiques modernes ».

 

Article initialement paru sur Forbes.com