Vos enfants ne sont pas sur Facebook ? Ce n'est pas une raison pour baisser la garde

Par Helen Lee Bouygues

On aurait tort de penser que ne pas utiliser Facebook met les adolescents à l’abri de ses dangers : les plateformes qu’ils fréquentent ont les mêmes défauts. Aux parents d’inculquer le raisonnement critique à leurs enfants le plus tôt possible.

Le 5 octobre dernier, la lanceuse d’alerte Frances Haugen témoignait devant les sénateurs américains sur les dangers de Facebook et de ses filiales, soulignant notamment l’effet toxique sur la santé mentale d’Instagram, qui – d’après ses propres enquêtes internes – aggrave les problèmes d’image corporelle chez une adolescente sur trois.

Cette audition a déclenché une nouvelle crise pour Facebook, alors que les législateurs débattent de solutions règlementaires pour contenir les problèmes sociétaux qu’ils estiment engendrés par le réseau. À plusieurs reprises, les sénateurs ont comparé Facebook aux géants du tabac : addictifs, lucratifs, néfastes.

Un sujet de santé publique


Le terrain où se croisent raisonnement critique et réseaux sociaux est un champ d’étude continu de la Fondation Reboot, et nos résultats confirment ces constats : les plateformes provoquent entre autres anxiété et dépression et devraient donc, à l’instar du tabac, être traitées comme un problème de santé publique.

La sonnette d’alarme tirée lors de l’audition d’octobre n’a pas encore retenti auprès des parents d’ados et pré-ados. Les moins de 18 ans représentent moins de 4% des utilisateurs de Facebook. En revanche, on les trouve plutôt sur TikTok, YouTube, Snapchat, Discord, Twitch ou autres, plateformes qui ont pour l’instant échappé à la vindicte… à tort. Ces réseaux appellent eux aussi une surveillance étroite de la part des parents.

TikTok est un foyer avéré de désinformation sur le COVID et la vaccination. Une étude de l’ISD (Institute for Strategic Dialogue) de juillet dernier a montré que 124 vidéos contenant des informations biaisées sur le sujet y avaient été vues plus de 20 millions de fois. YouTube est considéré comme « le grand radicalisateur » car ses algorithmes poussent les utilisateurs vers du contenu de plus en plus incendiaire. Au printemps, Discord a annoncé avoir banni plus de 2000 communautés extrémistes de sa plateforme de discussion, le double du nombre qui y opérait en 2020.

Hyper vigilance exigée


Les parents doivent donc rester vigilants, quel que soit le réseau utilisé par leurs enfants. Mais par quoi commencer ?

En premier lieu, par une détox digitale : le temps d’un week-end, toute la famille pourrait éteindre ses écrans, poser ses téléphones et s’éloigner d’internet. Pour beaucoup, se couper des écrans reste difficile même en sachant qu’ils sont mauvais pour eux. C’est d’ailleurs ce qu’a révélé une sondage menée par Reboot en 2020 auprès d’utilisateurs américains : plus de la moitié a reconnu que l’usage des réseaux sociaux intensifiait leur sentiment d’anxiété, de dépression ou de solitude, contribuait à leur faible estime de soi et les empêchait de se concentrer. Pourtant, seulement un tiers a déclaré agir pour le limiter. Les ados, en particulier, ont besoin d’être guidés, encouragés voire cadrés par un parent pour arrêter de scroller.

En plus de limiter le temps d’écran, les parents doivent cultiver le raisonnement critique chez leurs enfants : c’est essentiel pour les préparer à l’usage des réseaux sociaux et les protéger du danger rampant de la désinformation en ligne. Les facultés critiques doivent être inculquées dès le plus jeune âge, et leur développement encouragé sans relâche.

Des outils existent


Pour cela, Reboot propose plusieurs outils gratuits, dont un guide pour les parents contenant information et conseils spécifiques par tranche d’âge, ainsi que des fiches pratiques.

Par exemple, apprendre aux enfants de 5-7 ans à gérer leurs émotions, à réfléchir calmement et objectivement avant d’élaborer des arguments, est une base solide pour mieux gérer les réseaux sociaux dans le futur ; à la préadolescence, la puberté exacerbe les émotions et les rend plus difficiles à contrôler.

Les pré-ados, eux, doivent savoir résister à leurs impulsions et à leur besoin de satisfaction immédiate, une faiblesse exploitée par les algorithmes qui déversent leur contenu chargé émotionnellement – et qu’un expert (Aza Raskin, ancien employé de Mozilla et Jawbone)

a baptisé « cocaïne comportementale ».

Prendre du recul par rapport à ses émotions est nécessaire pour la réflexion à tout âge, et particulièrement chez les jeunes ; c’est également une compétence précieuse face aux réseaux sociaux.

Enfin, trois qualités nécessaires au raisonnement critique doivent aussi être cultivées : l’humilité (admettre que l’on ne sait pas tout et que l’on peut se tromper), la confiance (oser poser des questions difficiles et remettre l’autorité en question lorsque c’est opportun), et l’analyse (évaluer la qualité des arguments plutôt que juger la personne qui les a émis).

Pendant que les sénateurs américains continuent de passer les dirigeants de Facebook et d’Instagram sur le gril, alors que beaucoup d’autres plateformes restent sous le radar, les parents doivent veiller à ce que leurs enfants soient armés face aux mutations perpétuelles des réseaux sociaux. Cela commence à la maison, il n’est jamais trop tôt, et cela vaut pour toutes les plateformes.